5 mai 1992, Furiani : retour sur un drame à jamais gravé dans la mémoire du sport français

Printemps 1992, l’Olympique de Marseille se déplace à Bastia pour une demi-finale de Coupe de France qui crée l’événement sur l’île. Pour l’occasion, les dirigeants corses ont élevé une nouvelle tribune de 10 000 places. Mais à quelques minutes du coup d’envoi, celle-ci s’écroule.

En ce soir de mai 1992, le soleil brille dans le ciel bastiais. D’ailleurs, la soirée s’annonce étoilée, et pas que dans les cieux. Au stade Armand-Cesari de Furiani, la galaxie marseillaise débarque pour une demi-finale de Coupe de France contre le SEC Bastia (Sporting Étoile Club Bastia).

Papin, Waddle, Pelé, Amoros, Boli… Les stars de l’OM de Bernard Tapie, alors ministre de la Ville, vont fouler la pelouse du modeste stade bastiais, habitué aux joutes de Seconde Division depuis plusieurs saisons. Finaliste de la dernière Ligue des champions, Marseille crée l’événement, partout où il passe. À tel point qu’en ce 5 mai 1992, les dirigeants corses ont vu les choses en grand. En moins de deux semaines, ils ont érigé une tribune provisoire de 10 000 places.

 

Un policier se tient devant les débris de la tribune provisoire qui s'est effondrée, le 5 mai 1992 au stade Armand-Cesari, lors de la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et Marseille. (ERIC CABANIS / AFP)

 

Un bruit sourd, puis les cris

Porté à 18 000 places, le stade de Furiani a fait le plein. L’enceinte corse rugit. La nouvelle tribune nord a été terminée le jour même, sans être validée par la commission de sécurité. Le match s’apprête donc à démarrer dans l’illégalité. Pire, quelques jours plus tôt, une autre commission avait émis des réserves quant à la sécurité de l’édifice. Réserves que le club a caché.

10 000 personnes prennent alors place dans cette tour de fer qui ressemble à un échafaudage géant. Le tout repose sur des tasseaux de bois, parfois posés sur des parpaings. Dès 19 heures, l’organisation s’inquiète de la solidité de la structure, et des employés du constructeur Sud-Tribunes s’affairent pour resserrer des boulons.

Pendant ce temps, les stars marseillaises s’échauffent sur la pelouse. L’ambiance monte. Le speaker, Jean-Pierre Paoli, demande aux supporters de « ne pas taper des pieds sur la partie en fer, pour des raisons de sécurité ». Mais la foule ne réalise pas ce qui se passe sous cette tribune. Les joueurs non plus, alors que ceux de l’OM regagnent les vestiaires. Le coup d’envoi approche.

20h23 : un bruit sourd met fin aux chants bastiais. Un lourd silence s’ensuit. Puis, de multiples cris résonnent. Le haut de la tribune nord vient de s’effondrer. 3 000 personnes ont chuté de quinze mètres de haut.

 

Des spectateurs du match entre Bastia et l'OM tentent de s'extirper des décombres après l'effondrement du haut de la tribune Nord, au stade Armand-Cesari, le 5 mai 1992. (ERIC CABANIS / AFP)

 

L’immense tour de ferraille n’est plus qu’un amas de poutres métalliques entremêlées, dont s’extirpent les victimes. Comme un château de carte, la tribune provisoire s’est écroulée sur elle-même. Ceux qui ont échappé au drame se précipitent immédiatement dans les décombres pour secourir les trois mille personnes prises au piège.

Au total, on dénombrera 2 357 blessés et 18 morts. Mais pour le moment, l’heure est à l’urgence. De l’autre côté de la tribune, les joueurs bastiais démontent les grillages pour que les rescapés puissent descendre vers le terrain. Le rectangle vert se transforme en hôpital de fortune.

Du rêve au cauchemar

La France entière vit ce drame en direct à la télévision. TF1 venait à peine de prendre l’antenne pour cette demi-finale lorsque la tribune a basculé. À 21 heures, l’ordre d’évacuation est donné. Un balais d’hélicoptères s’orchestre sur la pelouse. 60 minutes plus tard, le plan rouge est déclenché. Les services de santé corses doivent appeler à l’aide ceux du continent, notamment de Marseille.

Certains joueurs participent aux premiers soins. Tous, Bastiais et Marseillais, refusent de rejouer le match. La nuit avance et le bilan s’alourdit d’heure en heure. Bastia imaginait vivre une soirée de rêve contre l’OM, c’est finalement un cauchemar éveillé qui s’abat sur Furiani.

Ce drame, le plus grand de l’Histoire du sport français, aura plusieurs conséquences. D’abord, l’arrêt de la Coupe de France 1992. Une décision aussi évidente qu’historique, puisque jamais elle n’avait été annulée, pas même lors de la Seconde Guerre mondiale. Qualifiée en finale après sa victoire contre Cannes, l’AS Monaco est toutefois désignée comme représentant français à la Coupe des Coupes 1992-1993.

Les suites de Furiani constitueront surtout un long feuilleton judiciaire. Après un procès en appel en 1995, huit condamnations sont prononcées, dont celles de Jean-Marie Boimond (1), directeur technique de Sud-Tribunes, qui a supervisé la construction, et de Michel Lorenzi (2), vice-président du SEC Bastia.

Depuis, le devoir de mémoire est respecté tous les ans afin de ne jamais oublier ce drame. Après des années de lutte, le collectif des victimes de la catastrophe de Furiani a enfin obtenu, en octobre 2021, un vote favorable du Parlement afin qu’aucun match de football professionnel ne se tienne en France le 5 mai en hommage aux victimes. Une date gravée là où il y a désormais 30 ans, le football a coûté la vie. Dix-huit vies.

(1) Jean-Marie Boimond a été condamné à 24 mois de prison ferme et 30 000 francs d’amende (6 084€) pour homicides et blessures involontaires.
(2) Michel Lorenzi a été condamné à dix mois de prison avec sursis et 15 000 francs d’amende (3 042€) pour homicides et blessures involontaires.

 

Article franceinfo